Steve Jobs est mort cette nuit. Plutôt que de résumer sa biographie, j’ai juste envie de parler de ses produits et plus particulièrement de la lacune béante qu’il introduisait volontairement dans chacun d’entre eux.
Un être à la fois agaçant et génial… qui modelait ses produits à son image

Steve Job à 21 ans
Steve était parait-il caractériel et tyrannique. Mais aussi génial, visionnaire, perfectionniste. Une personnalité contrastée qui s’imprimait jusque dans ses produits. En tout cas, c’est l’hypothèse que j’ai toujours formulée. Je ne sais pas vous mais moi, lorsque je fais le ménage ou la vaisselle, je ne peux pas m’empêcher de laisser volontairement une petite trace sur l’évier, une boule de poussière sur le parquet…
On pourrait penser que les lacunes du premier Macintoh ou du premier iPhone étaient normales pour l’époque ou que Steve Jobs était juste en avance sur son temps. Hé bien non. Elles suscitaient l’interrogation de tous les observateurs. Je me souviens par exemple de la sortie du Macintosh en mars 1984. J’ai fait mon entrée à l’Ordinateur Individuel comme pigiste, le mois suivant. Toute la rédaction se demandait quelle mouche avait piqué Apple de ne pas doter son ordinateur d’un disque dur.
Macintosh originel : pas de disque dur et un seul lecteur de disquette

Le Macintosh de 1984 : pas de version avec disque dur
Les disques durs pour ordinateurs personnels existaient pourtant depuis des années. Par exemple, l’IBM PC était décliné depuis 2 ans en version disque dur. De plus, les ordinateurs dénués de disque dur possédaient un deuxième lecteur de disquette car le premier devait accueillir à demeure une disquette système qui laissait peu de place aux données.
Or, le Macintoh n’avait qu’un seul lecteur et Apple ne proposait même pas de lecteur externe supplémentaire. Cette lacune a fait beaucoup de tort au Macintosh, dont le démarrage laborieux a été à l’origine de l’éviction de Steve Jobs en 1985. En 1986, Apple déclinera le Macintoh enfin en version disque dur.
Station Next : ni lecteur de disquette ni disque dur

Station Next Cube de 1989 : un lecteur de disque
magnéto-optique remplace disque dur et disquette
Parti d’Apple, Steve Jobes crée la société Next Computer et lance en 1989 la station Next Cube, aussi révolutionnaire que le Macintoh en 1984. Mais là encore, Steve Jobs, contre l’avis de ses collaborateurs, refuse de la doter d’un disque dur et même d’un lecteur de disquette. Argument : ces deux éléments sont remplacés par un lecteur de cartouches magnéto-optiques de grande capacité (256 Mo, soit le double des disques durs de l’époque).
Problème : ce lecteur est environ 10 à 20 fois plus lent qu’un disque dur. De plus, les cartouches valent une fortune, alors que les disquettes ne coûtaient presque rien. En 1990, sous la pression générale, Steve Jobs acceptera de sortir une station Next avec disque dur.
iMac (1997) : encore un ordinateur sans lecteur de disquette

iMac de 1997 : pas de lecteur de disquette
Décidément, Steve Jobs avait des problèmes avec les périphériques de stockage. Revenu aux commandes d’Apple en 1996, il est à l’origne de la sortie de l’iMac, un Macintosh monobloc qui intègre un disque dur mais… pas de lecteur de disquette. L’inverse du Macintosh de 1984. Impossible donc de sauvegarder les données du disque dur. Argument : l’avenir, c’est la sauvegarde sur Internet. Mais c’était un peu trop visionnaire : il faudra attendre une bonne dizaine d’années pour que les utilisateurs stockent réellement des données dans le nuage.
Et encore aujourd’hui, même si le virage vers le Cloud est en train de s’opérer, la plupart des données restent stockées en local. Et le lecteur de disquette est remplacé par les clés USB, qui ont fait leur apparition en 2002. Heureusement, l’iMac de 1997 était doté d’une interface USB (toute nouvelle à l’époque) qui permettait de connecter un lecteur de disquette externe… que tout le monde achetait. Mais ce n’était pas dans l’esprit de l’ordinateur monobloc.
iPhone (2007) : pas de connectivité 3G ni de copier/coller

iPhone (2007) : pas de 3G ni de copier/coller
En 2006, les constructeurs de téléphones mobiles et de smartphones proposent depuis déjà 4 ans des appareils offrant une connectivité 3G. Mais lorsqu’Apple se lance sur ce marché, il fait l’impasse et s’en tient à une connectivité Edge, dont le débit est assez faible. Certes, l’iPhone sera quand même un succès (j’en avais d’ailleurs acheté un, que j’utilise toujours). Il faudra attendre l’iPhone 3G en 2009 pour bénéficier du haut débit mobile sur un téléphone Apple. Autre lacune : le premier iPhone n’avait pas de copier/coller, une fonction pourtant banale sur tous les autres smartphones et PDA.
A cette liste de produits révolutionnaires mais volontairement imparfaits, on pourrait aussi ajouter l’iPad (incompatible avec la technologie Flash, pourtant omniprésente sur le Web). Ces imperfections correspondaient à une démarche qui faisait fi des désirs explicites des utilisateurs, pour imaginer ceux que personnes n’exprimaient. Les deux n’étaient pourtant pas inconciliables. Mais chez Steves Jobs, il y avait quelque chose de cet ordre : "j’ai raison parce que je suis génial, la preuve, mes produits sont des succès."